Les Nains et les anneaux
La tentative de Sauron pour contrôler les Nains avec les sept est réputée avoir échoué car les Nains n'ont de goût que pour les richesses et non pour le pouvoir comme les Hommes. Ainsi, les anneaux n'auraient fait qu'augmenter le désir de richesse des Nains sans réussir à les contrôler comme cela a été fait pour les neufs.
J'aimerais ici éclaircir (éclaircir seulement, et non pas donner l'explication ultime) ce thème en mettant en parallèle l'histoire des Nains et des 7 avec celle de la différence entre Aulë et Melkor.
Comment comprendre que la soif de richesse soit un vice mineur par rapport à la soif de pouvoir dans le SdA? Vice mineur, car les nains se trouvent être insensibles au pouvoir de l'unique, représentant une espèce de mal pur, son essence pourrait-on dire, dans ce récit.
Je propose de considérer que la différence entre la soif de pouvoir et de richesse est explicitée de manière plus claire dans le Silmarillon (la Valaquenta) par la différence entre le Vala Aulë et Morgoth.
Pour justifier ce parallèle j'assume un lien direct entre les Nains, la soif pour la possession des choses, et Aulë d'une part (ce dernier étant le créateur des Nains); et la soif de pouvoir qui dérive vers le mal, représentée par Melkor puis par Sauron et les Nazgûl, d'autre part.
Dans la Valaquenta on peut lire (Sur les Valar):
Melkor était jaloux [d'Aulë], car l'esprit et les pouvoirs d'Aulë ressemblaient trop aux siens, et il y eu entre eux une longue inimitié. Melkor gâchait sans cesse ou défaisait ce qu'avait fait Aulë, Aulë se laissait de réparer sans cesse le désordre et la confusion apportée par Melkor. Tous deux semblablement désiraient créer du neuf et de l'innatendu, ce à quoi d'autres n'auraient pas encore pensé, et ils aimaient à ce qu'on loue leur talents. Mais Aulë resta fidèle à Eru: il lui soumettait tout ce qu'il faisait, il n'enviait pas le travail des autres, mais recherchait leur avis et en donnait. Alors que Melkor se consumait d'envie et de haine jusqu'à ce qu'il ne puisse plus rien que moquer les pensées des autres et détruire leur oeuvres s'il le pouvait.
Les deux personnages semblent avoir de nombreux points en commun. Ils ne sont pourtant pas entièrement semblables puisque Melkor devient mauvais, et pas d'Aulë. Le deux ont un goût, un vice même, pour la création de choses nouvelles qui vont au-delà des projets d'Eru; rappelez vous le chant des Ainur pour Melkor, et la création des Nains pour Aulë.
Mais le rapport à leurs créations semblent être différents. L'intérêt qu'Aulë porte à l'acte de créer est totalement tourné vers l'objet créé. C'est l'objet qui doit être supérieur aux autres et non le créateur, l'objet est le but du créateur. Ainsi ce dernier ne sera pas jaloux d'autres créations que le sienne (il les améliorera ou les admirera), puisque son but est la beauté de la création, peut importe son auteur. Il cherchera un créer des objets toujours plus beaux, c'est à dire à améliorer constamment.
Dans la Quenta Silmarillon (II, Sur Aulë et Yavanna):
Et Aulë répondit [à Eru]: "Je n'ai pas voulu ce pouvoir. J'ai recherché des êtres différents [les Nains] de moi, afin de les aimer et de les enseigner."
Pour Melkor, l'objet n'est qu'un moyen, un outil qui va lui permettre de démontrer sa supériorité, son pouvoir sur le monde. Sa relation avec la création est en ce sens purement subjective, l'objet créé n'a d'importance que s'il rend son sujet-créateur supérieur aux autres individus. La conséquence en est que Melkor n'hésitera pas à détruire les créations des autres, dans le mesure ou seuls les objets qui augmentent son prestige, ceux fabriqués par lui ont de l'importance.Dans la Valquenta (Sur les Ennemis):
Déchu de sa splendeur [on parle de Melkor], son arrogance tourna au mépris pour tout ce qui n'était pas lui. [...] Son intelligence se tourna en ruse pour détourner à ses fins propres tout ce qui pouvait lui servir.
La règle semble devenir plus claire, la création comme but en soi n'est pas dangereuse. La création comme outil pour soi mène l'individu à la déchéance.
La différence entre les deux types de créations reste pourtant très floue dans la pratique. Et le passage du "côté obscur" reste très subtil.
Pensez par exemple à Fëanor et aux Silmarils. Quel est son rapport avec ces derniers? Est-il plutôt de type Melkor, ou plutôt Aulë?
Pensez aussi à la folie des forgerons de Gwaith-i-Mírdain qui ont créé les anneaux de pouvoir. A votre avis, sont-ils plus ou moins coupables que les Hommes qui accepté les anneaux offerts par Annatar?
Les Nains sont-ils eux-mêmes exactement comme leur créateur Aulë? Il semblerait plutôt qu'ils se positionnent quelque part entre les deux extrêmes, plus proches tout de même d'Aulë puisqu'ils ont résisté aux sept. Mais les Nains gardent un sacré sens de la propriété pour le résultat de leur labeur et les richesses (les objets) en général, ce qui les a conduit à quelques frictions avec les elfes au cours de l'Histoire d'Arda.
Que pensez-vous du rapport entre les réflexions de Tolkien et le monde réel? Peut-on par exemple comparer le Einstein qui fait de la recherche fondamentale (la science comme but en soi [1]) à Aulë, et le Einstein qui travail sur les applications pratique de l'atome [2] à Melkor? La situation semble compter elle aussi. La bombe A aurait-elle existé sans la IIème Guerre Mondiale? Fëanor aurait-il aussi mal tourné sans le vol des Silmarils et le meurtre de son père? Le passage de la bonne à la mauvaise création est vraiment très subtil, non?
Que dire de l'art? Comment ne pas faire le lien entre la création purement utilitaire à la Melkor et l'art sous le régime soviétique, outils destiné exclusivement à clamer la grandeur du National-Socialisme (les coeur de l'armée rouge par exemple). Et là encore c'est un exemple extrême, mais beaucoup d'artistes ont travaillé à gloire du Nationalisme sous beaucoup de régimes.
Bon, je m'arrête là, mes paragraphes devenant de plus en plus digressifs. J'espère que le tout reste assez cohérent et compréhensif pour mes bien aimables lecteurs.
Vos remarques Mesdames, Messieurs!
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Notes:
[1] : Je ne peux m'empêcher ici de vous conseiller un excellent petit essai (2 pages) de Friedrich Nietzsche: "Dans quel sens nous aussi nous sommes encore pieux", dans "le Gai savoir", Livre V, § n°344. Magnifique réflexion sur la science et la vérité. Je le tiens à disposition des intéressés qui me le demanderont.
[2] : M'était un peu renseigné depuis la version originelle du post, il me faut souligner qu'Einstein se limita à conseiller au gouvernement américain d'élaborer la bombe atomique pour devancer les Nazis. Je ne sais pas quel fut le poids de son conseil dans la décisions des Etats-Unis.